Après la victoire de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite, nous nous intéressons au mouvement Sens Commun. Il a choisi, non sans surprise et sans tensions internes d’ailleurs, de soutenir ce candidat et s’en trouve aujourd’hui renforcé. Ce mouvement vise en effet à transformer la mobilisation de La Manif Pour Tous en engagement politique partisan. On montrera ici que Sens Commun reprend les codes et le vocabulaire d’extrême droite pour développer des propositions traditionalistes, conservatrices et ultra-libérales. On a montré ailleurs l’action délétère que peut faire les élu-e-s issu-e-s du petit parti, en particulier au niveau régional. [1]
Sens Commun aborde ses thématiques avec une approche dite sociétale [2]
Sur ces points, ce ne sont pas tant les libertés et les droits individuels qui les intéressent que l’homogénéité d’une société composée de personnes ancrées dans un territoire, incarnées et « naturellement » légitimes à perpétuer des traditions et une histoire.
La critique des droits humains est devenue habituelle, surtout lorsqu’il s’agit de dénoncer la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), sans rien dire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de notre constitution, ce qui montre un repli anti-européen [3]
De plus, sur ces mêmes droits humains, Sens Commun y ajoute la très classique critique à l’extrême droite abstrait / concret, droits artificiels / nature charnelle [4]
C’est donc l’opposition nette à la philosophie des Lumières et aux valeurs républicaines qui est expliquée, lesquelles devraient être remplacées selon eux par le patriotisme. Il écrit ainsi dans un communiqué intitulé « Comment faire aimer la France », en juillet 2015, ceci :
« De fait, nous restons prisonniers d’une vision désincarnée de la France où l’adhésion à des principes abstraits remplace l’attachement qui nous lie à une terre, une histoire, des hommes et un mode de vie. Les valeurs de la République, pour autant que l’on puisse s’accorder sur leur contenu, ne comporteront jamais un degré d’attraction suffisant pour épouser tous les ressorts de la personnalité humaine. Elles s’adressent à la raison et non au coeur, elles dictent une conduite morale mais n’enracinent pas les personnes dans une histoire faite d’aventures, de défaites et de renaissances. Elles ne proposent, enfin, aucune figure de héros qui puisse constituer un modèle à imiter. Pour importantes qu’elles puissent être, les valeurs de la République ne sauraient remplacer la transmission d’un patrimoine culturel et charnel qui nous constitue dans notre identité et nous rassemble dans un même amour partagé.
C’est pourquoi, l’amour de la France constitue le meilleur rempart contre le multiculturalisme qui gangrène la communauté nationale et contre la déculturation qui touche tous les nationaux. Enraciner les gens dans une histoire, c’est les aider à être pleinement ce qu’ils sont, et leur permettre de prendre conscience d’une identité qui n’existe souvent que dans les replis inconscients d’une mémoire collective. » [5]
Outre le fait qu’il y ait très peu de différences entre Bruno Gollnisch et Sens commun [6] on retrouve effectivement exactement les mêmes rhétoriques, le même langage : celui de l’ « enracinement », de la remise en cause des valeurs républicaines trop abstraites, d’une identité figée qui nous est donnée (même inconsciente) et qu’il s’agit de faire perdurer, indépendamment des volontés individuelles et collectives.
Et cela se fait finalement toujours au profit de propositions traditionalistes voire identitaires : leur programme qui commence par la politique familiale mentionne évidemment la lutte contre la PMA et la GPA, contre le mariage pour tous, propose plus de flexibilité au travail pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle (alors qu’on sait que pour les femmes, plus de flexibilité rend beaucoup plus difficile cette conciliation !). On retrouvera dans cette même partie de leur programme l’élargissement de l’impôt sur le revenu, la suppression du droit du sol et l’interdiction pour les communes de dépasser 25 % de logements sociaux…
François Fillon, qui a voté régulièrement dans sa carrière politique contre tous les textes progressistes (dépénalisation de l’homosexualité, PACS, mariage pour tous…), qui explique que sa foi lui fait rejeter l’avortement, a donc choisi de s’inscrire dans une vision ultra-libérale et ultra-conservatrice, qui ne manquera pas d’aller à l’encontre des droits des femmes.