Droits des femmes contre les extrêmes droites

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Le FN et l’avortement : une volontaire ambiguïté

dimanche 11 septembre 2016

Le temps semble lointain où Jean-Marie Le Pen disait des femmes : « Il est ridicule de penser que leur corps leur appartient, il appartient au moins autant à la nature et à la nation. » (interview au Parisien en 1996). Toutefois, le 18 janvier 2014, il déclare encore à Var matin : « Il faut convaincre les femmes de notre peuple de l’absolue nécessité d’assumer leur fonction de reproduction." [1]

Dans son programme de 2012, le FN n’envisage pas l’interdiction de l’avortement mais son déremboursement, au prétexte que certaines femmes le choisiraient comme moyen de contraception banal. Le 21 décembre 2010, dans un entretien au quotidien d’extrême droite Présent, Marine Le Pen prône le déremboursement de « l’IVG de confort ». Peu lui importe que dans les faits 72 % des femmes qui doivent avorter sont tombées enceintes alors qu’elles utilisaient un contraceptif, et que plus de 90 % d’entre elles ne le font qu’une fois, voire deux au grand maximum. La rhétorique du FN renverse la situation en revendiquant pour les femmes la « liberté de ne pas avorter » (comme si on obligeait des femmes à le faire !), ce qui l’amène d’ailleurs à préconiser « l’adoption prénatale ». On n’est pas loin des mères porteuses ! [2]

« Je sais que l’IVG est un acte traumatisant », lâche Marine Le Pen à Valérie Toranian, directrice de la rédaction de ELLE. « J’ai été très claire : je ne suis pas pour une remise en cause de l’avortement. Je suis attachée à cette loi alors que de nombreuses personnalités et adhérents de mon mouvement y sont opposés », a-t-elle rappelé. Le discours est pourtant volontiers culpabilisant pour les femmes : « Tomber deux fois de suite enceinte lorsque l’on est sous contraceptif, c’est quand même pas de chance ! ».

A Sciences Po le 5 avril 2012, elle utilise un argument prétendûment économique pour stigmatiser les femmes ayant recours à l’IVG et les mettre en concurrence avec d’autres catégories de populations : « Je refuse que des femmes se fassent avorter à plusieurs reprises quand d’autres au même moment doivent renoncer aux soins faute de moyens » [3]
Une femme qui recourt à l’avortement, c’est une femme qui utilise les services de l’hôpital… Marine Le Pen fait appel à leur « générosité » pour penser d’abord « aux précaires » et aux personnes âgées qui ne peuvent se soigner. (Marine Le Pen répond à Elle, 10 février 2012) [4]

Rappelons encore que Marine Le Pen qualifiait le Planning familial de « centre d’incitation à l’avortement » et que lorsqu’elle était présidente du groupe FN au Conseil régional d’Île-de-France, elle prônait la fin du soutien aux centres IVG, « au nom du droit à ne pas avorter » ; qu’elle a annoncé l’objectif de « faire baisser » le nombre d’avortements « pour tenter de le ramener jusqu’à zéro si possible » [5]

Critiquée par les franges catholiques, MLP déclare sur Radio Courtoisie le 12 décembre 2008 :
« Je ne suis pas pour l’avortement. D’ailleurs j’aimerais bien savoir qui est pour l’avortement. (…) Mais je ne pense pas qu’il soit possible, aujourd’hui, d’interdire purement et simplement l’avortement, c’est-à-dire de recréer somme toute une repénalisation de l’acte. (…) Il m’apparaît que la solution la plus évidente est de mettre en place une grande politique d’incitation à la natalité. Or je crois que depuis déjà de nombreuses années, les politiques ont fait l’inverse, ils ont fait plutôt des politiques d’incitation à l’avortement, en ne donnant pas d’autre choix à beaucoup de femmes, ils ont incité comme si c’était la solution miracle et ils ont fait de cet acte très grave, un acte dont certaines pensent ou croient qu’il est anodin. (…) Si j’avais les moyens, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour faire baisser de manière majeure le nombre des avortements, mais surtout pour ré-insuffler chez les femmes - et les hommes (…)- la conscience du caractère sacré de la vie. » [6]

Le 22 janvier 2014 à l’Assemblée nationale, Marion Maréchal-Le Pen prend la parole pour soutenir l’amendement no 9 qui rétablit la restriction de détresse : « Vous niez dans le débat public l’existence de formes d’IVG que certains médecins appellent de confort. Je trouve que cet article prouve l’inverse, puisque vous mettez en exergue des situations où les femmes recourent à l’IVG en l’absence totale de détresse psychologique et matérielle. Cela relève donc d’un choix de vie que l’on peut, de fait, qualifier de confort. Je tenais à relever ce paradoxe qui m’apparaît flagrant. »
(…) « Pour toutes ces raisons et pour défendre, quoi qu’on en dise, la vie, puisqu’il s’agit quand même de l’existence ou non d’un être humain, qu’on le veuille ou non, je crois qu’il faut conserver ces garde-fous qui sont aussi moraux. » [7]

Il semble toutefois y avoir des divergences entre la tante et la nièce sur ces questions. (cf article « FN et Planning Familial »)

S’agit-il de divergences de fond et/ou de la stratégie des discours à géométrie variable ?

Lors du banquet de Marine Le Pen le 1er mai 2016, Sophie Montel, proche de Florian Philippot, élue à la Région Bourgogne-Franche Comté, prononce un discours dans lequel elle se pose en défenseuse des droits des femmes, et prône la « sanctuarisation de la contraception et la non remise en cause de l’avortement » et « le droit de la femme à disposer de son corps ». Ce qui semble avoir provoqué les sifflets de certains militant-es. Et alors que Marion Maréchal-Le Pen s’est dite la même semaine d’une génération « saoulée par les valeurs de la République qu’on nous sert en permanence », elle a conclu par « Vive la République, vive les valeurs républicaines »
Marine Le Pen appuie : « Sophie Montel a raison. (…) Nous le sentons bien, le droit des femmes françaises régresse dans notre pays. » [8] [9]

Ces tergiversations s’inscrivent dans la stratégie de dédiabolisation du FN, qui brouille les cartes sur certaines questions afin de toucher un électorat de plus en plus large.